Publié le : 03/10/2022
La morsure génère des réactions émotionnelles vives aussi bien chez les professionnels que chez les familles. Les enfants, quant à eux, sont pris dans des enjeux d’adulte qui les dépassent. Dans ce contexte, comment aborder cette problématique dans un climat de confiance et de bienveillance pour tous.
Des émotions fortes chez l’enfant et le parent
La morsure vient convoquer une part fantasmatique autour du cannibalisme. C’est probablement en partie pour cette raison qu’elle déclenche autant d’émotions chez les parents mais aussi chez les professionnels. Les équipes sont souvent démunies face à cet acte qui va les obliger à donner des explications plus ou moins compréhensibles aux parents de l’enfant qui s’est fait mordre. Une fois passe encore, mais plusieurs morsures sur le même enfant provoquent un malaise grandissant. Les parents inquiets, peuvent alors douter de la capacité des professionnels à protéger leur enfant au sein de l’établissement. S’en suit souvent, à cause de cette inquiétude, une montée d’agressivité pouvant aller jusqu’à la menace de porter plainte pour défaut de surveillance. La communication parents-professionnels commence à se gripper.
Dans le cas de morsures répétées, l’inconfort des professionnels peut aller jusqu’au stress. Cela peut déclencher des manifestations d’agressivité à l’égard de l’enfant qui mord. En effet, il devient ce « fauteur de troubles » face auquel se révèle le sentiment d’impuissance des équipes. De fait, il est possible qu’il soit grondé, isolé, stigmatisé. Ses actes et lui sont confondus pour ne faire qu’Un : Mordeur devient sa nouvelle identité. Au nom de la transparence, lors des transmissions du soir, les parents seront informés qu’il a « encore mordu ».
Les parents, les équipes et les enfants sont pris dans des enjeux qui les incitent, bien malgré eux, à répondre en miroir. L’enfant qui mord a pris sa nouvelle identité et peut ainsi s’enfermer dans une répétition réductrice. Les professionnels, comme pour faire partager la responsabilité des morsures, informent les parents de manière parfois culpabilisante. Ces derniers, pris à défaut de « bonne éducation », réprimandent leur enfant et peuvent même le punir à la maison. Alors comme une folle farandole, l’angoisse des professionnels est projetée sur les parents qui l’absorbent et la renvoient à leur tour sur leur enfant. Cet enfant-mordeur subira donc potentiellement une double peine : des réprimandes à la crèche et à la maison.
Dans bien des cas, c’est la direction qui va se charger de cette communication. Pour se faire, il faudra au préalable avoir récolté auprès de l’équipe les éléments de contexte de la morsure : Comment ça s’est passé ? Conflit autour d’un jeu, repas, l’enfant qui a mordu est-il en colère, présence des adultes à proximité etc… Ces éléments devront être transmis au parent. Cependant, au préalable, il est important d’expliquer que l’enfant mordu a été consolé, puis que les soins ont bien été faits. Le parent doit sentir que cette situation a été traitée avec implication sans pour autant y mettre une intention dramatique. Il est également inutile de dire que tous les enfants peuvent mordre un jour ou l’autre. Cette banalisation est du plus mauvais effet.
D’autre part, quand le parent s’est montré particulièrement contrarié, il est nécessaire de le recevoir le jour même afin d’accueillir ses émotions. Enfin, dans le cas d’une situation répétitive, le parent doit pouvoir sentir que toute l’équipe est mobilisée pour trouver des solutions (travail avec la psychologue, entretiens avec les parents de l’enfant qui mord, questionnement sur l’environnement ludique, temps d’observation par l’équipe). La direction aura alors la responsabilité d’évaluer le niveau d’informations à transmettre afin d’être rassurante pour la famille tout en restant dans un cadre confidentiel.
Prendre ses distances
Pour prendre du recul avec cet émotionnel envahissant, il va donc être nécessaire d’introduire du Tiers. Les équipes éducatives, au quotidien avec le groupe d’enfants, ne peuvent gérer seules ce type de problématique. Qu’on se le dise, l’enfant ne mord pas avec l’intention de nuire. Ce comportement ne présage rien, non plus, de son caractère futur. Son cerveau est juste immature et ne lui permet pas de réguler ses pulsions et émotions. Ce dont il a besoin, c’est un accompagnement compréhensif et bien traitant, doublé d’un regard élargi sur l’ensemble de ses compétences. La direction, la psychologue, l’EJE ont un rôle clé à jouer en fournissant aux professionnels des apports et des observations permettant de décoder les raisons qui poussent les enfants à mordre. Par ailleurs, une indispensable remise en question des pratiques peut permettre un nouvel éclairage sur la nature et la fréquence des morsures.
Rédaction : Anne Boulhoud